« Les gens honnêtes »
de Christian Durieux et Jean-Pierre Gibrat
(Editions Dupuis, 2014-2016)
Les quatre tomes « Les gens honnêtes » m’ont tout particulièrement touchée, alors qu’habituellement, il faut l’avouer, je ne suis pas très friande de bandes dessinées. La mixité du texte et de l’image n’est pourtant pas pour me déplaire lorsque les personnages et leur démêlés se montrent attachants. Cette situation s’est précisément présentée à moi lors de la lecture de cette BD en quatre tomes.
Sur une note douce-amère, le récit en images nous entraîne dans les pérégrinations d’un quinquagénaire qui vient de perdre son emploi et se voit incapable de remonter la pente, d’autant plus que son épouse l’a quitté. Au fond du trou, il (re)découvre le monde qui l’entoure et puise ses forces dans l’amour et l’amitié. Si le premier tome nous la joue sur une note plus amère que douce, malgré de constantes touches d’humour, les trois autres tomes
gagnent en optimisme. Le protagoniste reprend vaille que vaille son destin en main
et la vie continue avec ses hauts et ses bas
.
Une bande dessinée bienfaisante ?
L’humanité de Philippe, le protagoniste du récit, est au coeur même de ce récit tragi-comique. Le lecteur peut facilement s’identifier à ce personnage qui doit faire face à des problèmes privés et professionnels assez similaires à ceux d’un bon nombre de quinquas : retrouver un emploi après 50 ans, supporter les difficultés rencontrées par ses enfants adolescents, gérer sa propre situation amoureuse, s’occuper de ses parents vieillissants…
Bien entendu, certaines situations peuvent sembler rocambolesques, mais lorsque la dernière page est tournée, nous avons l’impression d’avoir cheminé longtemps avec Philippe au travers de déboires et de moments de bonheur tout à fait réalistes.
L’humour, remède miracle
Les touches d’humour pleuvent tout au long du récit et nous attendrissent sur le miroir des petits et grands tracas du quotidien. Le protagoniste boit aux sources de l’amour et de l’amitié qui lui tendent des perches pour se relever…
Même si ces perches ne sont pas toujours hum hum les plus adéquates …. 🙂 n’est-ce pas ?
Bande dessinée – littérature ?
La bande dessinée a l’avantage de toucher un large public. Les écrits, plus courts, sont facilement compréhensibles parce que supportés par des images. Textes et images captent plus vite l’attention du lecteur dont les yeux parcourent rapidement la page et s’accrochent facilement sur le fil d’un récit.
Or ces caractéristiques donnent souvent lieu aux préjugés que tente de définir Jacques Dürrenmatt dans son ouvrage « Bande dessinée et littérature » paru aux Editions Classiques Garnier en 2013
Selon l’auteur, les a priori fustigeant la bande dessinée reposent sur quatre points : 1) ce genre littéraire se lirait trop rapidement 2) les descriptions relèveraient uniquement des images plutôt que du texte 3) le texte serait appauvri au profit d’une surenchère d’onomatopées et de signes expressifs comme les points d’exclamation etc. 4) la bande dessinée serait incapable de retranscrire les émotions des personnages.
Prenons ces points l’un après l’autre au regard de la bande dessinée de Durieux et Gibrat.
Lecture rapide :
Lire rapidement une histoire ne constitue pas vraiment un inconvénient ou un défaut de qualité. Au contraire, savoir qu’il ne faudra pas se concentrer plus de deux heures peut inciter celui qui ne veut pas y accorder trop de temps, à se plonger malgré tout dans le récit.
Quant aux bandes dessinées de Durieux et Gibrat, la lecture d’un ou deux tomes enjolivera facilement toute une soirée et redonnera du baume à l’âme au lecteur épuisé par ses soucis du quotidien.
Descriptions par l’image et non par le texte :
Certes, les images prennent une place très importante dans les bandes dessinées, mais c’est leur agencement qui en font des images vivantes et captivantes et c’est le texte ou l’absence de texte qui les colore et souligne leur qualité descriptive.
Les images des bandes dessinées de Durieux et Gibrat dépeignent avec justesse l’émotion que veut nous communiquer leurs auteurs. Mais c’est avant tout le texte qui nous permet de percevoir l’ampleur de ces émotions.
Texte apprauvri par un trop-plein d’onomatopées et de signes expressifs
La BD recourt à ces moyens d’expression sonore pour éviter les petites formules qui lient les phrases d’un texte que sont par exemple : « il s’écria », « gémit-il », « la voiture vrombit »… Les images constituent le support par lequel les parties du récit sont reliées entre elles. Les sons qui les ponctuent rendent ces images plus réalistes et vivantes.
La bande dessinée se définit comme un heureux mariage entre images et textes. Grâce aux images, le texte n’est pas appauvri, il devient simplement plus minimaliste. Un simple mot suffit à faire rire, ce qui serait plus difficile sans images.
La plupart des bandes dessinées revendiquent cette qualité, celles de Durieux et Gibrat ne font pas exception.
Incapable de retranscrire les émotions des personnages
S’il existe une époque qui se caractérise par une surabondance d’images, c’est bien la nôtre. Les multiples appareils de communication à notre disposition rivalisent de petites icones pour communiquer un sentiment ou une pensée. Les smileys envahissent la majorité de nos courriels pour transmettre en quelques clics l’émotion qui nous submerge. Alors que dire des dessins représentés avec art par les auteurs de bandes dessinées ?
En tous cas, les bandes dessinées de Durieux et Gibrat ne m’ont pas laissée indifférente et le partage d’émotions était bien présent en lisant les quatre tomes.
Conclusion
La bande dessinée constitue un genre littéraire particulier qui traduit des sentiments via ses propres canaux. Tout comme le roman, elle dispose d’atouts pour inviter le lecteur à adopter une perspective différente face à certaines difficultés, voire pour comprendre une situation donnée et/ou se sentir moins seul(e).
Certes, son abord peut apparaître plus aisé que celui d’un roman. Cela n’en fait pas pour autant un genre littéraire de moindre valeur.
En outre, une bande dessinée peut également se présenter comme une lecture bienfaisante, à condition toutefois qu’elle remplisse les mêmes conditions qu’un roman bienfaisant pour le lecteur qui doit pouvoir y trouver les outils nécessaires pour surmonter les aléas de son existence…
Bonnes lectures à toutes et tous !
Très intéressant cet article sur les préjugés concernant la bande dessinée. Je ressens celà à travers une moindre audience quand je publie des chroniques sur une bd ou un roman graphique. Et pourtant, si la qualité est inégale, il s’y rencontre de véritables chefs-d’œuvre. Merci pour ces informations très complètes et utiles 😊
Merci pour ce retour 😉