Le roman épistolaire, source bienfaisante ?
Genre littéraire mettant en lumière les pensées des personnages au travers de leur correspondance, le roman épistolaire donne l’illusion au lecteur d’être au plus proche de leur intimité. La narration s’articule et se révèle autour de lettres échangées entre les protagonistes, que ceux-ci soient deux ou même plusieurs. Au lieu de passer d’un chapitre à un autre, le lecteur poursuit son histoire d’une missive à la suivante, et va de découvertes en découvertes par le biais du prisme des différents points de vue et remises en question.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire au vu des contraintes (réalisme, multiplication des voix, discontinuité du récit, difficulté formelle) qui lui sont imposées, le roman épistolaire dispose d’une belle variété de possibilités pour tenir son lecteur en haleine et lui donner envie de poursuivre sa lecture. Le talent d’un écrivain se mesure donc à la virtuosité avec laquelle il fera vivre l’intrigue par les diverses tonalités dans l’écriture de ce genre.
Authenticité apparente, récit morcelé et plaisir de reconstruction
Le roman épistolaire doit emmener le lecteur au coeur d’une intrigue vraisemblable où celui-ci peut se reconnaître ou du moins reconnaître une réalité qui existe. Les lettres doivent donc mentionner une date et un lieu pour apparaître crédibles.
Par ailleurs, le lecteur se retrouve en situation de voyeurisme vis-à-vis des pensées avouées par les protagonistes qui échangent une correspondance. En même temps, il est appelé à reconstruire une réalité vraisemblable sur base de ce récit morcelé par les diverses lettres qui composent le roman.
La lecture du roman épistolaire fait grandement appel à l’imagination du lecteur, ce qui, dans le meilleur des cas, en accroît son plaisir.
Le roman épistolaire et son histoire
Même si quelques oeuvres de l’Antiquité et du Moyen Âge font référence au sein de la littérature épistolaire, la date de naissance du roman épistolaire correspondrait, selon les spécialistes, à l’année 1669 avec les « Lettres portugaises« , un recueil reprenant les lettres d’une religieuse portugaise à un officier français et qui aurait été écrite par Gabriel de Guilleragues.
Mais c’est au XVIIIe siècle que le roman épistolaire connaît son apogée, notamment avec les oeuvres suivantes qui sont devenues les modèles du genre :
- « Lettres persanes » de Montesquieu (1721)
- « La Nouvelle Héloïse » de Rousseau (1761)
- « Les Liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos (1782)
Romans épistolaires contemporains
Qu’en est-il des romans épistolaires aujourd’hui ? A vrai dire, il en existe de nombreux, et beaucoup d’ouvrages valent le détour d’une lecture.
Voici trois exemples de romans épistolaires que je qualifierais de « bienfaisants » et qui par ailleurs placent le récit dans un cadre historique assez proche, celui de la seconde guerre mondiale.
– « L’appartement du dessous » de Florence Herrlemann
Ce roman épistolaire, publié par les éditions Albin Michel en 2019, fait partie des cinq romans sélectionnés pour le Prix Horizon 2020 qui a lieu tous les deux ans à Marche-en-Famenne en Belgique.
Ce prix littéraire, présidé par l’écrivain Armel Job, récompense l’auteur d’un deuxième roman grâce au vote de lecteurs, organisés en comités de lecture, qui sont appelés à choisir leur favori parmi les « deuxièmes romans » en lice. Lors de la journée de vote, les lecteurs peuvent rencontrer les auteurs et débattre avec eux.
La cinquième édition du Prix Horizon aurait dû avoir lieu le 16 mai 2020, mais sera reportée à une date ultérieure au vu des circonstances liées à la pandémie de coronavirus.
Que nous raconte ce roman épistolaire ? Lorsqu’une jeune femme vient s’installer dans l’appartement d’un immeuble parisien, la vieille Hectorine qui habite dans l’appartement du dessus s’empresse de lui déposer une lettre de bienvenue. C’est le début d’une longue correspondance jetant un lien insolite et de plus en plus intrigant entre ces deux femmes qu’un seul étage sépare, mais qui ne se croiseront pourtant jamais. Hectorine, en retraçant une partie de son histoire qui a traversé la seconde guerre, révélera peu à peu un douloureux secret à sa voisine et correspondante.
Roman bienfaisant ? Véritable coup de foudre pour ce roman qui met en avant les bienfaits de l’amitié, de la communication sincère et de la parole qui délivre.
– « Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates » de Mary Ann Shaffer & Annie Barrows
Publiée aux USA en 2008 et en France en 2009, cette fiction historique épistolaire connut un succès mondial peu de temps après le décès de Mary Ann Shaffer (1934-2008) qui en fut la co-auteure avec sa nièce Annie Barrows (1962-).
L’adaptation cinématographique du roman est apparue sur les écrans en 2018.
Le récit se déroule principalement à Guernesey où vivent la plupart des personnes qui vont développer une relation épistolaire avec une jeune femme anglaise à la fin de la seconde guerre mondiale. Au fil des courriers qui s’échangent, Juliet, la jeune femme, se passionnera pour l’histoire de ce club de lecture créé pendant la guerre pour justifier une violation du couvre-feu allemand. Les membres de ce club lui confieront leur expérience de l’occupation allemande à Guernesey et le lien personnel qu’ils ont chacun développé avec la littérature.
Roman bienfaisant ? Ce roman
a été apprécié pour l’humanité véhiculée au coeur des événements tragiques de l’époque, pour les notes d’humour, ainsi que pour la tension qui sous-tend l’intrigue tout au long de l’échange épistolaire. Sans oublier le principal : ce roman fait également l’éloge de la littérature et de ses bienfaits.
– « Petites recettes de bonheur pour les temps difficiles » de Suzanne Hayes et Loretta Nyhan

Elles se sont rencontrées sur le blog de Loretta et ont fait le pari de co-écrire ce roman épistolaire sans jamais se rencontrer, tout comme les protagonistes de leur récit qui, sans se connaître, vont nouer une amitié grâce à un échange de correspondance initié alors que leurs époux et proches respectifs sont partis combattre en Europe durant la seconde guerre mondiale.
Malgré les temps difficiles, l’optimisme est de rigueur dans la complicité qui unit ces deux femmes face à l’adversité grâce à cette relation épistolaire. Elles y échangent des recettes, des potins, des conseils de jardinage, ainsi que des secrets intimes.
Roman bienfaisant ? Lorsque le bonheur, doublé d’une dose d’optimisme, veut trouver la lumière au milieu de la tristesse et de la morosité ambiantes, il y parvient… même s’il doit user de l’écriture bienveillante et de la voie postale pour arriver à ses fins….
Ce roman vous le prouvera, surtout avec un titre qui fait naturellement écho aux temps difficiles que nous vivons actuellement….
Article très instructif, merci !
Merci ! Ravie qu’il vous ait plu !