« L’île de Tôkyô » de Natsuo Kirino publié en avril 2013 aux éditions du Seuil relate la vie après naufrage d’un groupe de Japonais sur une petite île déserte au large des Philippines. Kiyoko est la seule femme présente parmi tous ces naufragés. Son mari décède très vite et malgré son âge (46 ans), elle fait l’objet de toutes les convoitises. Peu après, un autre groupe de naufragés débarque également sur cette île. Il s’agit cette fois-ci de Chinois. Les différences entre les deux clans se marqueront de plus en plus. Sur le quatrième de couverture, on lit : « Natsuo Kirino réussit, avec cette fable à la Daniel Defoe, à décortiquer la mécanique des rapports de force dans une société humaine en vase clos, maniant avec éclat la cruauté et l’humour sans perdre de vue la thématique principale de son œuvre : la place des femmes japonaises dans la vie contemporaine ».
Avec un langage parfois très cru, l’auteure dévoile la cruauté et l’égoïsme de l’âme humaine dans ce récit qui se déroule sur une île perdue que personne ne semble ni connaître ni accoster. La façon dont elle change de perspective en se mettant dans la tête de l’un ou de l’autre naufragé contribue à l’intérêt de cette lecture et évite une vision facile et manichéenne de la situation. Les conflits en présence reflètent sur une petite échelle ce qui semble parfois d’actualité entre Japonais et Chinois, et plus encore entre hommes et femmes dans la société japonaise.
Roman bienfaisant ? Oui, dans le sens où le lecteur constate que les sentiments d’intolérance et de non-empathie aboutissent inexorablement au désastre. La violence des rapports humains est soulignée à l’extrême. Il s’agit d’un véritable contre-exemple de ce qui fait défaut ici, mais constitue les conditions de survie par excellence, à savoir des relations sincères de solidarité, d’amitié et d’amour.
Au coeur de cet enfer, Natsuo Kirino, par ailleurs une auteure japonaise très populaire dans son pays, livre les pensées et sentiments d’un des naufragés les plus antipathiques de l’île. C’est pourtant à travers lui, cette sorte de Cro-Magnon plutôt rustre, qu’elle évoque le pouvoir bienfaisant de la lecture. En prenant possession du journal intime de feu le mari de Kiyoko, ce personnage se sent devenir tout-puissant :
P114 « A force de ruminer les paroles de Takashi et d’apprendre grâce à elles, sa conscience s’aiguisait et se clarifiait, il commençait progressivement à être capable d’abstraction »
P116 « L’univers qui s’étendait grâce aux mots défilant librement dans sa tête provoquait des changements dans son expression. »
brrrr, ça me glace le sang !