Univers à la fois désenchanté et enchanteur de Murakami

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« Le Meurtre du Commandeur »

de Haruki Murakami

Tome 1 « Une idée apparaît » et Tome 2 « La Métaphore se déplace »
(Editions Belfond 2018)

 

Un succès signé Murakami

Vous ne connaissez pas encore l’écrivain japonais Haruki Murakami ? Pourtant, il figure parmi les auteurs japonais contemporains les plus lus au monde, ses oeuvres littéraires sont traduites dans une cinquantaine de langues et il s’est vu décerner de nombreux prix et distinctions, dont le Prix World Fantasy du meilleur roman en 2006 pour « Kafka sur le rivage » . Il est aussi régulièrement cité comme pouvant prétendre au prix Nobel de littérature.

 

Son quatorzième roman en deux parties, « Le Meurtre du Commandeur » livre 1 et livre 2, traduit en français par Hélène Morita et publié en 2018 aux éditions Belfond, a été l’occasion pour moi de découvrir cet auteur prolifique et talentueux.

 

Lorsque le surnaturel pénètre la réalité pour lui donner son sens…

« La réalité ne se limite pas seulement à ce qui est visible.. » nous dit le narrateur du roman de Murakami. De fait, l’auteur japonais nous plonge dans un récit réaliste (le quotidien d’un peintre-portraitiste auquel son épouse a demandé le divorce et qui s’est réfugié en solitaire dans une maison à flanc de colline) où le surnaturel fait irruption pour entrouvrir les portes d’une possible reconversion.

La maison dans laquelle habite le narrateur appartient au père d’un ami, Tomohiko Amada, autrefois célèbre peintre, mais aujourd’hui atteint de démence sénile et soigné en maison de repos. Le narrateur découvre par hasard dans le grenier une peinture de l’artiste, soigneusement dissimulée et qui s’inspire de l’opéra de Mozart « Don Giovanni »  : il s’agit de la représentation de la scène du meurtre du commandeur évoquée dans l’acte 1 de cet opéra.

Par ailleurs, le narrateur fait la connaissance d’un personnage richissime et énigmatique, Menshiki, qui lui demandera de faire son portrait et de faire celui d’une jeune fille dont il prétend être le père biologique. Grâce à Menshiki, des fouilles pourront être entreprises pour trouver l’origine d’un son de clochette qui réveille le narrateur durant la nuit.

La découverte d’une fosse dans les alentours de la maison et l’apparition d’un petit personnage insolite dans la vie du narrateur participent au fantastique qui imprègne peu à peu le récit et dont se nourrissent à la fois la narration (qui se colore d’une touche surréaliste originale) et le narrateur (en quête de réponses à ses questions existentielles).

« Dans notre vie, il est fréquent de ne pas pouvoir discerner la frontière entre le réel et l’irréel. Et il me semble que cette frontière est toujours mouvante. Comme une frontière entre deux pays qui se déplacerait à son gré selon l’humeur du jour. Il faut faire très attention à ces mouvements. Sinon, on finit par ne plus savoir de quel côté on se trouve », lui confiera Menshiki.

 

D’où vient ce réalisme magique ?

Le critique d’art allemand Franz Roh fut le premier à utiliser cette appellation pour décrire en peinture des éléments magiques et paranormaux survenant dans un environnement réaliste et reconnaissable.

Plus tard, les écrivains latino-américains revendiquent cette appellation de « réalisme magique » pour qualifier leurs récits. Le roman bien connu « Cent ans de solitude » publié en 1967 par le colombien Gabriel Garcia Marquez fait figure d’emblème de ce courant d’écriture.

Introduire la magie dans la réalité quotidienne ou historique (sans tomber dans le surnaturel à outrance) est un procédé bien dosé qui se retrouve dans beaucoup de romans issus de la littérature internationale. On pense ici par exemple à Franz Kafka, à Marcel Aymé, Günter GrassPatrick Süskind, Toni Morrison….

et bien sûr ici, à Huraki Murakami qui use de l’étrange pour décortiquer la réalité.

« … Peut-être ce qui nous arrive nous semble-t-il être uniquement des faits parmi les plus ordinaires, se produisant de la façon la plus ordinaire, dans un quotidien linéaire. Ou bien au contraire, peut-être tout cela nous paraît-il complètement insensé. Mais en fin de compte, c’est seulement beaucoup plus tard que l’on saura vraiment si un événement est conforme à la raison ou pas. »

 

Murakami interroge la création artistique

Parmi les sujets chers à l’auteur japonais figure celui de la création artistique perpétuellement questionnée dans le roman « Le Meurtre du Commandeur« .

Non seulement le narrateur s’adonne lui-même à la peinture, mais il vit chez un célèbre peintre, qui fut spécialiste du Nihonga, la peinture traditionnelle japonaise. Le titre du roman fait référence à une toile découverte dans le grenier de l’artiste et inspirée de l’opéra de Mozart. De nombreuses réflexions autour de la peinture, mais aussi de la musique et de la littérature, sont distillées au fil du récit.

« Une peinture est une chose curieuse: à mesure qu’elle approche de son achèvement, elle acquiert sa volonté, son point de vue et sa voix propres, et lorsqu’elle est achevée, elle fait signe à l’artiste que le travail est terminé… »

« J’avais toujours aimé, tôt le matin, contempler longuement une toile absolument vierge, sur laquelle il n’y avait encore aucun dessin, aucune peinture. J’appelais ce moment « le zen de la toile« . Rien encore n’était dessiné, mais ce n’était absolument pas du vide qu’il y avait là. Sur cette surface immaculée se dessinait la forme sur le point d’advenir. Si je fixais mon regard dessus, je discernais diverses possibilités, lesquelles finiraient bientôt par converger avant de déboucher en une piste concrète. j’aimais cet instant. L’instant où présence et absence allaient se mêler. »

« Le souvenir peut réchauffer le temps. Et puis, si on y réussit, l’art peut conserver à tout jamais le souvenir en lui donnant une forme. Comme Van Gogh qui a réussi à faire survivre jusqu’à nous ce facteur inconnu d’un coin de campagne en l’inscrivant dans notre mémoire collective.« 

Récit bienfaisant ?

Cette histoire analyse avec profondeur les émotions et les sentiments des protagonistes tout en suscitant la réflexion sur de nombreux sujets.

Les personnages, et en particulier le narrateur, vivent dans un état de détachement solitaire et mélancolique. Ils attendent des réponses personnelles et universelles, et les événements, souvent étranges, leur en fourniront les clefs.

Il s’agit donc en l’occurrence d’un récit initiatique empreint d’une belle touche d’onirisme qui guide les personnages dans leur quête tout en ménageant un certain suspense pour le lecteur.

Les thèmes évoqués sont multiples et concernent le couple, la création artistique, la parentalité, la vocation professionnelle, l’amitié, la nature et la force spirituelle.

Personnellement j’ai beaucoup apprécié l’univers de Murakami qui se situe à mi-chemin entre le désenchantement des aléas d’une vie ordinaire et le côté enchanteur des choses et des rencontres qui font partie de notre quotidien et dont on se devrait de reconnaître l’empreinte, si pas magique, du moins merveilleuse…

Moriya Tadashi

Moriya Tadashi

** RECITS INITIATIQUES BIENFAISANTS

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Je me rends compte de plus en plus que certains romans cités sur ce blog font partie de la catégorie des « RECITS INITIATIQUES »

Il s’agit de récits où le protagoniste apprend au fil des aventures les évidences essentielles de la vie. Il est souvent jeune et conseillé ou accompagné par un personnage qu’on pourrait qualifier de sage.

Je vais mentionner ci-après les récits initiatiques qui font partie de cette catégorie et qui me semblent particulièrement intéressants dans le cadre de la bibliothérapie:

Frédéric Lenoir « L’Âme du monde »

Laurent Gounelle « L’homme qui voulait être heureux »

Bonnie Jo Campbell « Il était une rivière »

Richard Bach « Jonathan Livingston le goéland »

Frédéric Lenoir « Coeur de cristal »

Frank Andriat « Jolie libraire dans la lumière » et « La forêt plénitude »

Stéphanie Zeitoun « Le Bruissement de l’aile du papillon »

Haruki Murakami « Le Meurtre du Commandeur »